La culture au temps de la pandémie

La culture est-elle essentielle en période de coronavirus ? Doit-elle rester accessible envers et contre tout ? Chacun a son opinion en la matière : parfois tranchée, parfois plus nuancée. La culture ne laisse pas indifférent. Elle est une affaire de passion. Elle est notre identité la plus profonde. Parfois même sans qu’on le sache vraiment.

Depuis le mois de mars, et le premier confinement, le secteur culturel est à l’arrêt. Certains restent ouverts par intervalles (comme les musées ou les bibliothèques), d’autres sont fermés et ne sont pas prêts de rouvrir. Les derniers ont pu se trouver une fenêtre de répit entre deux confinements. Mais tous gardent espoir qu’un jour, on pourra se retrouver à un concert, une pièce de théâtre ou un spectacle pour enfants. Le problème, c’est que ce qui fait l’attrait des événements culturels en temps normal, à savoir la rencontre avec des artistes, des œuvres ou un public, est aujourd’hui redouté pour des raisons sanitaires. En attendant des jours meilleurs, nous sommes partis à la rencontre des opérateurs culturels ittrois.

UN MUSÉE OUVERT

Le Musée Marthe Donas est le seul opérateur actuellement autorisé à accueillir du public. Avec un protocole sanitaire strict. « Le Musée est ouvert et une nouvelle exposition est prévue au mois de février. Mais nous avons dû reporter des expos prévues en 2020 lors du premier confinement. Nous avons essayé de toucher notre public avec une newsletter qui reprenait des informations concernant des tableaux ou des artistes de notre collection. Nous avons aussi développé nos activités sur les réseaux sociaux et notre site internet est en rénovation. À la première réouverture, au mois de juin dernier, on a eu beaucoup de monde. Le côté proche, local et à taille humaine a joué en notre faveur. Les gens préféraient fréquenter des petits lieux sans trop de monde. » détaille Annick Gillard, la coordinatrice du musée. « Par contre, nous avons perdu tout le public scolaire qui fréquente habituellement le musée ».

UNE SAISON ANNULÉE !


Pour Musique Class’Ittre, qui organise depuis 7 ans des concerts de musique classique, l’année 2020 est à oublier : « Pratiquement toute notre saison a été annulée. Seul le concert du mois de mars a pu se tenir » explique Michèle Counson. « Nous avons aussi épaulé les Amis du Mediophone de l’église de Haut-Ittre pour le concert de début octobre, en tenant compte des mesures sanitaires nécessaires, mais, je trouve que cette crise a mis en lumière le manque d’une grande salle de spectacle qui permette de respecter les distances physiques imposées. » Sur les 6 concerts prévus en 2020, 5 ont donc été annulés. « Les musiciens qui bénéficiaient des subsides Art et Vie ont pu garder les subsides, malgré l’annulation. On espère pouvoir les reprogrammer en 2022 car notre saison 2021, qui démarre le 7 mars, était déjà programmée, jusqu’au mois de décembre, avant le début de la crise sanitaire. Mais on ne sait toujours pas quand cela pourra reprendre… »


L’INCERTITUDE DE LA REPRISE

L’incertitude est probablement la plus grande contrainte pour les programmateurs culturels : Quand pourront-ils reprendre ? À quelles conditions ? La séance sera-t-elle rentable si les contraintes sont trop importantes ? « Les règlementations n’ont pas arrêté de changer » explique Gus Goossens, de l’Etable d’Hôtes. « Entre les deux confinements, quand les événements culturels étaient autorisés, certains spectacles n’ont pas pu se faire, soit parce qu’une règle a été modifiée en dernière minute, soit parce que les mesures étaient trop compliquées à mettre en place ». Malgré ces contraintes, la demande des spectateurs est grande : « Les spectateurs sont en manque de spectacle ! A chaque fois, on a rempli la jauge autorisée, forcément plus restreinte en raison des contraintes de distanciation ». Et la créativité reste de mise, puisque des alternatives ont vu le jour à l’Etable d’Hôtes : « On a organisé des brunchs, dans la grande grange qui permet de garder les distances. Chaque table était dans sa bulle. Et la cerise sur le gâteau, c’est un groupe musical qui ajoutait une touche culturelle au repas. Les musiciens étaient payés au chapeau. Ça a bien marché » confie Gus.

Pourtant, malgré une volonté de résister à la morosité, les programmateurs ont parfois des moments difficiles, qui entament leur motivation : «Au mois de décembre, en fin d’année, j’ai eu un petit coup de mou. On ne pouvait pas se projeter dans l’avenir et on était suspendu à un fil, comme un yoyo» confesse Gus. « J’étais abattu, mais je reprends espoir lors d’une rencontre ou d’une bonne nouvelle ».


A l’Heptone, haut lieu du jazz dans le centre d’Ittre, Olivier Colette ressent surtout de la frustration :

« Tout a été annulé. Après avoir tout préparé, tout programmé, fait la promotion… tout est tombé à l’eau ! ». Pourtant, au mois d’octobre, avant ledeuxième confinement, la saison avait repris: « Au lieu des 100 personnes, on pouvait en accueillir seulement 40. Les entrées étaient pour les artistes et nous ne pouvions pas organiser de bar. L’ASBL Heptone ne gagnait rien. On l’a fait pour dire qu’on existe et pour maintenir un lien avec le public. On a fait de la résistance culturelle ! Et les gens ont répondu présent, même si certains ont été effrayés de se retrouver dans une salle avec 40 personnes. »



UNE FERMETURE INDÉFINIE

Depuis lors, l’Heptone est fermé. La programmation de 2020 est reportée à 2021, en fonction des disponibilités des artistes : « Maintenant, j’attends que les choses reviennent à la normale, sans distanciation ni masque. Sinon, cela n’en vaut pas la peine. Je l’ai essayé et c’est beaucoup d’énergie pour pas grand-chose. En plus, on y perd de l’argent. Et il faut que les spectateurs se sentent en sécurité car, même avec un protocole, il y a toujours un risque puisque certains ne respectent pas complètement les règles. »

En plus d’être programmateur pour l’Heptone, Olivier Collette est aussi musicien et professeur de jazz à l’Académie de Waterloo. En tant qu’artiste, la situation est plus compliquée : « Je continue à jouer, essentiellement seul. De temps en temps, on peut continuer à répéter et à enregistrer avec d’autres musiciens. Mais les concerts prévus ont été annulés. » explique-t-il. Il profite donc du temps disponible pour produire un nouveau disque, qui ne sortira pas avant un ou deux ans, quand la crise sanitaire sera passée…

RETROUVER DE LA MOTIVATION

  L'Heptone avant la pandémie. Un contraste saisissant...   

« Pendant le premier confinement, j’ai attendu, mais le deuxième confinement a anéanti tous les espoirs de reprise. Je ne voyais pas la sortie du tunnel et je broyais du noir. Je n’ai pas étudié la musique pendant des années pour jouer seul dans mon salon. C’est un gros coup au moral et il faut une motivation de fer, qu’il faut alimenter de l’intérieur puisqu’on ne peut plus avoir de contacts vers l’extérieur. J’ai dû trouver une manière d’occuper mes journées pour trouver une énergie positive. Heureusement, j’ai la chance de vivre dans un chouette village et d’être soutenu par ma femme et les enfants, mais je pense souvent à mes collègues qui vivent seuls… ».

UN SENTIMENT PESANT DE SOLITUDE


À la Chapelle de Verre de Fauquez, pour Michael Bonnet aussi, la solitude pèse : « Je vis sur mon bateau, mais chaque jour je viens travailler seul à la Chapelle pour me changer les idées. Depuis le confinement, un moineau est venu me tenir compagnie. » Financièrement, la location du gîte dans la Chapelle lui permet de garder la tête hors de l’eau, mais il n’envisage pas l’avenir sereinement : « J’ai reporté les concerts annulés au mois d’août, mais le public n’est pas venu. La culture n’a jamais été considérée à sa juste valeur. Elle intéresse peu de monde et on entend peu de réactions dans les médias. » Pourtant, même s’il n’envisage pas de reprendre les spectacles avant le mois de septembre, il y croit encore : « Je trouve du plaisir à la rencontre avec les artistes et le public. Cela fait des contacts » conclut-il.





UN SOUTIEN PUBLIC

Du côté de Zik Zak, la programmation rock a aussi dû s’arrêter : « On en a profité pour faire quelques travaux d’aménagement dans la salle : des petits travaux d’embellissement, qui ne coûtent pas trop cher et qu’on n’a jamais le temps de faire en temps normal. » explique Annick Botson. « Malgré les protocoles sanitaires, on a quand même pu organiser des concerts avant le deuxième confinement. Le public était assis à table, chacun dans sa bulle, et cela fonctionnait bien ! On était rempli chaque week-end, mais comme la capacité de la salle avait été réduite, on dédoublait les séances pour chaque concert. Mais avec le couvre-feu, cela devenait compliqué de gérer les soirées ».

Un coup dur pour les finances de l’association, qui a néanmoins été soutenu par les aides publiques : « Grâce aux aides du Ministère de la Culture, on a pu s’en sortir. On du calculer notre manque à gagner et on a touché des aides en plusieurs tranches. Certains spectateurs nous ont aussi soutenus, en faisant des dons ou en rachetant des anciens logos qu’on a mis aux enchères. On a aussi créé du merchandising en vendant des t-shirts… cela nous fait quelques rentrées…»

EMBOUTEILLAGE POUR LES FUTURS CONCERTS

Depuis le mois de mars, les concerts de Zik-Zak sont reportés à une date ultérieure. Mais ces reports vont poser un autre problème dans le futur : « On a tout reporté, déjà plusieurs fois, et notre calendrier 2021 est rempli jusque fin décembre, en écartant les groupes étrangers dont les cachets ne sont plus payables. Mais si on ne peut pas rouvrir, il va y avoir un embouteillage au niveau de la programmation. »

Comme les autres, le Théâtre de La Valette, est en attente d’une reprise. La saison, qui avait redémarré en octobre, a subi un coup d’arrêt après seulement 12 représentations de « Sentiments provisoires ». Une situation compliquée pour le théâtre qui, contrairement aux autres lieux culturels de notre commune, est le seul théâtre de création à Ittre. Un processus de création qui est plus long (et donc aussi plus couteux) que l’accueil d’un spectacle ou d’un concert pour un soir. « Malgré les annulations, nous avons continué à payer les personnes sous contrat, comme les comédiens, car certains sont en situation précaire… Pour le moment, nous n’avons que des frais et aucune entrée d’argent. De plus, certains abonnés ont demandé à être remboursés. C’est un budget important et sur lequel on comptait » explique Michel Wright, le directeur du théâtre, avant de préciser : « Nous avons besoin de rentrées financières avant la fin de la saison ».

LA DIFFICULTÉ DE METTRE EN PLACE UNE CRÉATION THÉÂTRALE

Mais si une reprise se dessine dans les prochaines semaines, il faut encore que le spectacle et les comédiens soient prêts : « Certains spectacles sont des reprises ou des accueils, et cela peut redémarrer assez vite. Mais pour les nouvelles créations, il faut plusieurs semaines d’anticipation avant de pouvoir le présenter au public ». Difficile à mettre en œuvre en temps de pandémie, quand les règles changent de semaine en semaine. Dans l’espoir d’une reprise, le décor de « Sentiments provisoires » est resté en place depuis le mois d’octobre. Mais récemment, les comédiens sont remontés sur scène et une équipe technique de la RTBF est venue animer une salle restée désespérément vide. Le but de la manœuvre : une captation vidéo qui sera diffusée sur la plateforme Auvio.be. « Une manière de faire vivre le spectacle, de payer les comédiens et de rémunérer les auteurs. C’est une première au Théâtre de la Valette » explique Michel Wright.

LA SOLUTION VIRTUELLE : AVIS PARTAGÉS

Finalement, est-ce que ce ne serait pas cela, LA solution ? Une version virtuelle de nos spectacles ! Bien sûr, cela ne remplacera jamais le spectacle vivant, avec des musiciens et des comédiens enchair et en os dans l’atmosphère feutrée d’une salle de spectacle. Mais quand même. La culture au temps de la pandémie ne serait-elle pas une culture à distance ? Peut-être un peu, faute de pouvoir sortir…

LES AVIS SONT PARTAGÉS DANS CE DOMAINE

Pour l’Heptone, le problème est essentiellement technique : « J’ai testé, en enregistrant la musique avec mon téléphone. Mais la qualité est mauvaise. Sur Facebook, les gens s’extasient alors que le son est mauvais, c’est surtout l’aspect visuel qui compte. En streaming, la qualité sonore est mauvaise, à moins d’avoir une réalisation professionnelle. Personnellement, je préfère écouter un bon CD dont le son est trois fois meilleur qu’un concert en streaming. »

Pour l’Etable d’Hôtes, « dans les captations, ce qui manque, c’est la convivialité et le partage, qui sont impossibles à distance ». Même son de cloche du côté de Zik Zak « Notre public, ce sont des rockers ! Ils ne veulent pas assister à un concert derrière un écran ».

Il ne reste donc plus qu’à prendre notre mal en patience… en attendant une réouverture des salles de spectacle. Une chose est sûre, l’ensemble des opérateurs culturels ittrois trépignent à l’idée de retrouver les artistes et le public. En espérant que ceux-ci répondront présent au moment de le reprise…